Neuvaine aux Saints Martyrs Canadiens (du 17 au 25 septembre)

[Cette neuvaine est la compilation de petits feuillets provenant autrefois de l’Imprimerie du Messager, à Montréal. Ces notes de causeries données à Radio-Sacré-Cœur du 9 au 17 mars 1949 étaient imprimées Cum permis. Sup. Joachim PRIMEAU, S. J., et avec l’Imprimatur du 11 février 1949 de + GEORGES, év. de Chicoutimi. À ces feuillets ont été ajouté les litanies, que l’on peut également prier chaque jour de la neuvaine. – Note de l’abbé Damien Dutertre.]

Vous pouvez télécharger cette neuvaine en PDF prêt à imprimer ici:

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NEUVAINE

aux

saints Martyrs canadiens

Jean de Brébeuf, Isaac Jogues, Gabriel Lalemant, Noël Chabanel, Charles Garnier, Antoine Daniel, René Goupil, Jean de la Lande, de la Compagnie de Jésus.

PREMIER JOUR

Le témoignage de l’Histoire

1625 : l’arrivée au Canada…

1925 : la béatification à Rome…

Une rose, fraîchement épanouie dans un jardin fermé de Normandie, est cueillie, sitôt éclose, par les anges pour être transplantée en Paradis, pour orner l’Autel de l’Agneau…

A quelques milles de distance, dans le même terroir normand, trois siècles plus tôt, un lys a grandi, qui bientôt est transplanté au : sein des forêts du Nouveau Monde ; l’âpreté du climat, loin d’appauvrir une sève généreuse, rend plus délicate encore et plus exquise la vertu du parfum qui embaume l’atmosphère inhospitalière…

A trois siècles de distance, une gerbe de lys, depuis longtemps cueillis en paradis, est déposée par les anges autour du Tabernacle de l’Hôte divin : le lys blanc de Condé apparaît soudain au regard, tout empourpré cette fois, à côté de la petite fleur de Lisieux…

L’une, la Petite Thérèse, a gagné le ciel en suivant les traces de Jésus Enfant ; l’autre, Jean de Brébeuf, en portant le fardeau du Crucifié ; l’une a conquis sa couronne par une très brève existence, toute de simplicité et de douceur ; l’autre, par un demi-siècle d’apostolat austère que couronne un affreux martyre ; et c’est la petite rose, toute fraîche éclose, qui ouvre pour ainsi dire la voie sur les autels à son compatriote, le lys trois fois séculaire. La petite Reine de 1925, Thérèse de l’Enfant-Jésus, patronne le vieux missionnaire de 1625, Jean de Brébeuf.

Dieu est admirable dans ses Saints !…

Dieu est incompréhensible en ses desseins… N’est-ce pas par une délicate attention de la Providence que le Canada s’est vu tout à coup glorifié dans ses enfants ?… Au début du siècle, en effet, qui eût cru, devant les exigences de la procédure ecclésiastique, que nos premiers apôtres monteraient si tôt sur les autels ?… Si leurs prouesses furent toujours l’objet de l’admiration universelle, personne apparemment n’avait encore obtenu que le ciel manifestât à la terre le crédit dont ils jouissaient auprès de Dieu.

Sans doute, l’éparpillement d’une poignée de héros sur un territoire immense, l’isolement loin de la civilisation, les labeurs et les vicissitudes de l’enracinement au sol, le changement d’allégeance, bien des circonstances historiques atténuent l’oubli énigmatique qui enveloppe la carrière de nos premiers missionnaires. Aussi l’Eglise n’a-t-elle eu qu’à être mise en face des faits pour se prononcer ; et le ciel n’a pas été lent à ratifier son témoignage : ainsi, une cause, introduite à Rome il n’y a que quelques lustres, arrive comme par enchantement au triomphe définitif. Remercions Dieu, si bienveillant en ses desseins !

En nous préparant à rendre hommage aux héros qui ont cimenté de leur sang les assises de l’Eglise canadienne, nous ne faisons que nous acquitter d’un devoir de fraternelle admiration et de patriotique reconnaissance, attirant par ce geste sur nos personnes, sur nos foyers, sur notre pays, les prédilections de ces frères aînés, tombés jadis au champ d’honneur… La neuvaine qui s’inaugure a pour but de nous grouper dans une prière plus fervente pour nous mieux disposer à célébrer comme il convient le troisième centenaire du martyre de nos premiers Saints, pour nous stimuler à demander avec plus d’ardeur et d’efficacité les vertus qui nous manquent, les grâces dont nous avons besoin pour marcher sur leurs traces.

« Hâtons-nous d’imiter ceux que nous sommes si heureux de fêter », recommandait S. S. Pie XI aux pèlerins canadiens la veille de la canonisation ; « imiter n’est pas copier mais bien s’inspirer de leur conduite, car à côté du martyre du sang il y a le martyre du devoir accompli : voilà comment nous nous devons d’imiter les saints Martyrs… »

A une époque de bien-être et de jouissance comme la nôtre, où le travail même tend à se muer en plaisir par la substitution de la mécanique à l’effort humain, nous est-il possible d’imaginer la vie austère menée par les pionniers de la foi et de la civilisation en notre pays ? Saurons-nous croire le récit de ces héros, qui ont écrit de si belles pages sur nos origines religieuses, justement qualifiées d’épopée mystique ?

Quelques détails, glanés ici et là : isolement, privation de toutes douceurs, nécessité de coucher par terre, de vivre tout le jour dans un petit enfer de fumée, où souvent le matin on se trouve couvert de la neige qui entre de tous côtés, où tout est rempli de vermine et de puanteur, où les sens ont chacun leur tourment ; pour étancher la soif, de l’eau pure qui n’est pas toujours propre ; et les meilleurs mets ne sont pour l’ordinaire qu’une espèce de colle de farine de blé d’Inde, bouillie dans l’eau sans assaisonnement ; voilà pour réconforter au milieu de travaux incessants et ardus où chacun aura à déployer la vigueur d’un bœuf, selon la plaisante allusion de Jean de Brébeuf… Pour étudier ou prier dans ces cabanes, on n’a dans le jour que la clarté qui vient de la voûte, et, le soir, la seule lueur d’un foyer toujours plein de fumée, au milieu de sauvages qui causent et se divertissent, d’enfants qui crient ou pleurent, sans compter les chiens qui courent en toute liberté ; point d’autre attitude que de se coucher à plat ventre pour lire son bréviaire dans ce milieu… Et Jean de Brébeuf de conclure : « Je ne sais comment la divine Bonté adoucit tout ce qu’il pourrait y avoir de difficile, et tous, tant que nous sommes, nous trouvons tout cela quasi aussi peu étrange que la vie de France… »

Ah ! si nous pouvions reconstituer par l’imagination l’état primitif de nos forêts incultes et le genre de vie vécue par nos Martyrs ! Le présent dont nous jouissons, n’est-ce pas ce passé héroïque qui nous l’a préparé, qui nous l’a mérité ?…

Remercions nos premiers Saints des grands exemples qu’ils nous ont donnés… Docile, aux paroles du Pape, que notre gratitude nous inspire le souci d’imiter les vertus qui ont fait la sainteté de nos Martyrs dans le temps et assuré leur gloire pour l’éternité…

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

DEUXIÈME JOUR

Le programme du Christ

Si quelqu’un veut être mon disciple, dit le Christ, qu’il se renonce, porte sa croix et me suive… Nos saints Martyrs furent d’héroïques disciples du Christ ; voyons comment ils ont compris le programme du Maître et l’ont exécuté.

Abneget : abnégation d’abord. — Le renoncement est indiqué dans l’Évangile comme la première condition de la vie selon Dieu ; et le détachement comme la première source de béatitude. C’est la première leçon apprise par nos Saints : dans la vie religieuse, ils se sont appliqués à renoncer à leurs idées, aux affections trop naturelles pour parents et amis ; la pratique de la pauvreté les a détachés des biens extérieurs, la pratique de la chasteté les a détachés des plaisirs sensibles, la pratique de l’obéissance les a détachés de leur volonté propre… Ils sont tous originaires d’un pays qui a toujours excité la convoitise de ses voisins par l’agrément de son climat, de ses beautés naturelles, de ses œuvres d’art, de toutes les richesses d’un passé glorieux ; ils ont quitté leur famille, ils n’ont pas hésité à quitter leur pays. Et quand surgira dans la mémoire le souvenir de la Patrie lointaine et des joies volontairement sacrifiées, aussitôt l’âme se ressaisira : « Renvoyons ces fêtes au paradis ; la réunion du ciel n’en sera que plus délicieuse. » Ainsi réagira Charles Garnier ; et, pour chasser toute atteinte de mélancolie, pour se remettre avec entrain au service du divin Maître, il ceindra le cilice, après avoir eu recours parfois à une rigoureuse flagellation : le visage illuminé d’un sourire, il reprendra cette vie crucifiante où la nature eût été bien en peine de trouver quelque adoucissement… Tous excellent dans la pratique de l’abnégation : aussi bien Jean de la Lande qui a tout quitté pour se donner aux missionnaires comme serviteur perpétuel, que Jean de Brébeuf qui s’est engagé par vœu à « ne jamais manquer à la grâce du martyre », et que l’intrépide Isaac Jogues qu’une longue captivité de souffrances n’a pu rassasier.

Tollat crucem : Qu’il porte sa croix ! — A l’abnégation, l’apôtre doit joindre un dévouement inlassable, une inépuisable générosité…

Quelle est cette croix à porter tous les jours ?… C’est le chaud, le froid, la faim, la soif, la solitude, la compagnie des indigènes, de la vermine et des moustiques, les travaux, les longues courses, les difficultés du langage, les alertes quotidiennes, la perspective du martyre… Comment la porteront-ils cette croix ?… La vie de Charles Garnier nous en fournit la réponse : ce jeune Père exerce un prodigieux ascendant sur les infidèles par la beauté de ses traits, la vivacité de son esprit, l’éclat de ses vertus. Il disait plaisamment dans une lettre à ses parents : « Vous riiez de moi parce que je n’ai pas de barbe ; et c’est précisément pour cela qu’on me trouve beau ! » — Ce qui séduit et attire en lui, c’est cette intelligence qui passe dans son regard et sa parole, c’est ce cœur aimanté de charité, ce cœur qui est tout à tous avec une aisance, un naturel auquel rien ne résiste… Ni l’air empesté des cabanes, ni la fumée aveuglante, ni la promiscuité des animaux, ni la façon dégoûtante de partager les mets peu délicats de la famille, rien ne paraît rebutant à cette nature exquise si merveilleusement enrichie par la grâce ; au milieu des indigènes, Charles Garnier est comme l’un des leurs, partageant travaux et corvées, supportant tout allégrement, toujours joyeux… Voilà comment ces hommes portaient leur croix : chez tous, même courageux entrain, dans les courses sur les routes mouvantes aboutissant aux Grands Lacs ou à travers l’épaisseur des forêts ; même endurance sous les ardeurs du soleil, la piqûre des moustiques, les morsures du froid : de vrais héros avec des âmes de saints !

Sequatur me : Qu’il me suive. — Un court rappel de leur martyre montrera la fidélité au Chef.

Isaac Jogues, après treize mois d’esclavage et de tortures, revenu à son ancien apostolat, tombe victime de son zèle le 18 octobre 1646.

René Goupil est tué bien avant son maître, en haine du signe de la croix tracé sur le front d’un enfant (29 septembre 1642).

Jean de la Lande partage le sort glorieux de Jogues dont il est resté jusqu’au bout le fidèle serviteur (19 octobre 1646).

Antoine Daniel est abattu au milieu de son troupeau par les flèches et les balles ennemies le 4 juillet 1648.

Noël Chabanel, qui s’est attaché par vœu à la croix des missions, reçoit de la main d’un apostat la couronne du martyre (8 décembre 1649).

Charles Garnier tombe la veille de la fête de l’Immaculée Conception 1649, en esquissant une dernière absolution.

Le 16 mars 1649, Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant sont pris et voués à la torture. On les dépouille de leurs vêtements ; on leur arrache les ongles des mains et des pieds ; des poteaux sont dressés, et le Père de Brébeuf y est attaché le premier. Sous la piqûre des alênes rougies au feu et sous la morsure des charbons embrasés que l’on promène sur ses membres, le P. de Brébeuf, impassible en apparence, oublie ses douleurs pour ne penser qu’à ses chers Hurons qui près de lui attendent la mort : i1 soutient leur courage en leur parlant du ciel… Pour le réduire au silence, on lui coupe les lèvres et la langue… Scalpe, collier de haches brûlantes, aspersions répétées d’eau bouillante en dérision du baptême, lambeaux de chair que l’on mange sous ses yeux… « Plus on souffre, as-tu dit, plus on est heureux ; grâce à nous, ton ciel sera plus beau ! »… Jean de Brébeuf, trois heures durant, toujours inébranlable, semble ravi en Dieu… Un chef, émerveillé de tant d’énergie, veut se l’approprier : il ouvre le côté du martyr ; lui arrache le cœur et le dévore, tandis que, « penchés sur son cadavre, d’autres bourreaux hument et boivent son sang comme une source de force surhumaine »…

Gabriel Lalemant expire le lendemain, après dix-sept heures de tourments, au milieu du même raffinement de cruautés.

Nos saints Martyrs furent tous des héros de renoncement, de patience, d’amour de Dieu. Prions-les avec confiance : ils ont bon crédit auprès de Dieu… Après avoir été la gloire de l’Église et de la Patrie canadiennes, qu’ils nous entraînent sur leurs pas à la conquête du Ciel !

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

TROISIÈME JOUR

L’homme de la prière

Sans moi vous ne pouvez rien faire, dit Dieu ; saint Paul commente : C’est la grâce de Dieu qui opère des merveilles, mais à condition que s’y greffe la coopération de notre bon vouloir.

Dieu nous a créés sans nous ; Il ne nous sauve pas sans nous…

C’est l’Homme-Dieu qui d’un mot invite Pierre et André à le suivre ; c’est Lui qui réunit les Douze pour servir de fondement à son Église. De même, c’est Dieu qui marque les chaumières de France où apparaîtront ces âmes d’élite qui monteront dans le ciel du Nouveau Monde comme « la sanglante mais féconde aurore de la civilisation canadienne ».

Une ébauche imparfaite nous a permis de fixer quelques traits de l’épopée glorieuse de nos Martyrs et nous a fait entrevoir le contraste entre leur vie et la nôtre ; impuissants à copier de pareils modèles, nous devons nous demander le secret de tant d’héroïsme, chez des hommes bâtis comme nous, nés comme nous dans un milieu avantageusement favorisé du ciel, en qui la nature se transfigura si merveilleusement sous le souffle de la grâce. Cette recherche nous découvrira ce qui, en eux, reste imitable aux âmes de bonne volonté : détails accessibles à notre faiblesse, exemples où notre vie spirituelle gagnerait à s’inspirer.

Évoquons brièvement cette piété remarquable, commune à nos Martyrs, où se manifesta leur docile correspondance à la grâce, où chacun se signala au point de mériter de la part des indigènes une appellation caractéristique qui vaut un bel éloge : l’homme de la prière

La prière, fil conducteur ou canal de la grâce — ondes longues ou courtes — par où se transmettent les communications entre les âmes et Dieu : contacts établis par le sentiment conscient de l’indigence et de l’impuissance humaines joint à la Foi en la bienveillance et la toute-puissance divines… Par la fréquence de ses communications avec le ciel, le missionnaire acquerra un tel prestige qu’il suscitera des soupçons de sortilègerie, si étrange et si merveilleuse apparaîtra la nouveauté du procédé…

Hommes de prière, nos Martyrs le furent tous à un degré éminent. Connaître-aimer-servir Dieu, fut le premier aliment de leur enfance ; au cours de leur formation religieuse, stimulés par les récits de leurs devanciers en terre infidèle, les futurs missionnaires — dès le collège de la Flèche — se constituent en ligue de prières : au pied du Tabernacle, ils affermissent leurs aspirations ; aux pieds de la Vierge, ils calment la pusillanimité native. Rien d’étonnant qu’en foulant le sol de leur rêve, ces héros n’aient d’autre souci que de marcher sans cesse sous le regard de Dieu : la présence de Dieu leur est si familière qu’elle devient habituelle, l’Eucharistie est leur consolation et leur réconfort, Marie est la mère toujours accueillante, Joseph le protecteur toujours efficace, les Anges gardiens de précieux auxiliaires largement mis à contribution. On sent chez tous nos apôtres des hommes de Dieu qui vivent dans le ciel tout en travaillant sur terre, des ouvriers prêts à transformer le monde, non avec la puissance occulte de la finance anonyme, mais avec ce merveilleux ascendant de l’assistance invisible d’en-Haut…

Jean de Brébeuf se plaint de ne pas savoir penser, d’être doué d’un esprit trop souvent inactif à son gré ; et pourtant quelle extraordinaire facilité à s’entretenir avec Dieu : ne prétend-il pas que Dieu nous donne le jour pour traiter avec le prochain, et la nuit pour nous entretenir avec Lui : estimant que la prière est plus nécessaire à l’âme que le repos au corps… « Le silence vous sera doux », ajoute-t-il à l’adresse des futurs missionnaires, « puisque vous avez appris à vous entretenir avec Dieu et à converser avec les anges et les saints… Serait-il possible que nous missions notre confiance hors de Dieu, en une région où du côté des hommes toutes choses nous manquent… »

Charles Garnier n’a que Dieu en vue en tous ses emplois : l’Eucharistie, la Vierge, les saints Anges, voilà où vont ses préférences. Marie est la mère de sa vocation ; et il s’est engagé à défendre jusqu’à l’effusion du sang le dogme de son Immaculée Conception : aussi le versera-t-il son sang la veille de cette fête, le 7 décembre 1649.

Ce souci de la présence de Dieu se traduit chez tous nos missionnaires par l’allégresse qu’ils éprouvent à entendre ou à célébrer la grande prière, la sainte Messe, dans quelque pauvre hutte, au milieu du silence des bois et des lacs, « alors qu’une brise légère fait prier les feuilles et les flots pendant qu’une grande variété d’oiseaux chantent tout haut leur prière du matin »…

Mystique et homme de prière que cet esclave volontaire, ce pitoyable Isaac Jogues qui, n’ayant que de pauvres loques pour couvrir un corps mutilé et exténué, reste des heures agenouillé dans la neige au pied d’une croix qu’il s’est gravée dans le tronc d’un arbre…

Homme de prière que ce Gabriel Lalemant qui triomphe, par ses violences au ciel, de tous les obstacles qui retardent son départ pour les missions convoitées ; le chanceux : six mois à peine à la tâche et il gagne le ciel !

Homme de prière que cet Antoine Daniel qui excelle à dresser ses sauvageons au signe de la croix, aux conversations avec Dieu et ses anges…

Homme de prière que ce Noël Chabanel qui, avec une nature rétive, ne trouve d’autre détente que dans ce refuge surnaturel…

Hommes de prière que ces fervents disciples, Jean de la Lande et René Goupil, dont les longues oraisons édifient leurs maîtres, étonnent ou inquiètent les naturels du pays…

C’est donc avec le ferment de la prière que tous ont pétri cette vertu surhumaine qui soutient leur âme… Ne nous étonnons plus de retrouver en chacun d’eux une pureté angélique, une humilité si profonde, une charité sans borne, avec un courage et une constance à toute épreuve.

Saints Martyrs de « chez nous », apprenez-nous à être des âmes priantes, obtenez-nous d’acquérir quelques-uns de vos traits pour que, grâce à cette ressemblance fraternelle, nous puissions un jour être associés à votre bonheur…

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

QUATRIÈME JOUR

L’amant de la Croix

Héroïques missionnaires, disciples authentiques du Christ, hommes de prière, nos saints Martyrs furent des amants de la Croix.

Point d’autre étendard que la Croix pour monter à la gloire, dit S. Paul ; soulignant la même vérité, S. Augustin appelle les hommes « les fils du Calvaire » ; et S. Jean Chrysostome avertit qu’ « il faut, pour se sauver, une pénitence (intérieure ou extérieure) qui puisse s’ajouter à celle de Jésus-Christ, accomplissant au dire de l’Apôtre ce qui manque aux soufrances du Rédempteur pour qu’elles nous soient salutaires ».

Quel éloquent commentaire de cette doctrine ne trouve-t-on pas dans la carrière de nos Martyrs, ces fidèles imitateurs du Crucifié, qui « réchauffèrent de leur sang les sillons glacés de la Nouvelle-France… pour y planter la foi, l’espérance et la charité d’une Église nouvelle ».

C’est parce que nous tournons le dos au Calvaire, parce que nous perdons de vue la Croix, que la souffrance, les épreuves, la douleur nous apparaissent dans la vie comme une énigme, comme un élément indigne de la Sagesse divine et de l’infinie Miséricorde. Aussi aurons-nous besoin de nous soustraire à cette ambiance d’occupations fébriles et de frivolités païennes où nous nous mouvons, chaque fois que nous chercherons à nous édifier au contact des âmes vaillantes qui nous rappellent si fièrement les salutaires enseignements de la Croix.

Amants de la Croix, tous nos Martyrs sont hantés par le même idéal de sacrifice ; tous ces insensés selon le monde ont été séduits par la folie de la Croix, dont la vision les obsède, les grise, fait leurs délices…

« Quel contentement, s’écrie Jean de Brébeuf, d’aller par ces rapides et ces sauts et de gravir les rochers à celui qui a devant les yeux cet aimable Sauveur harassé de tourments et montant le Calvaire chargé de sa croix… » « Le Canada est à mon égard, avoue Charles Garnier, un temple saint et sacré : on y est attaché à la Croix, car Jésus et la Croix sont inséparablement unis… » C’est une immense croix, embrassant tout le pays des Hurons, qui révèle mystérieusement le sort que Dieu leur voulait réserver.

Nous sommes portés à admirer en nos Martyrs leur fin sublime, à nous rappeler surtout les horreurs de leurs derniers tourments ; et pourtant, s’ils sont tombés au champ d’honneur, n’est-ce pas parce que toute une vie d’héroïsme les y avait préparés ; c’est cette endurance quotidienne qui devrait nous étonner et faire l’objet de nos méditations : le tableau de leur vie fait frémir tout autant que le souvenir de leur mort.

Libre à chacun de nous, de repasser dans le détail cet enchaînement d’austérités qui tenaient en exercice tous les jours et à chaque instant la patience de nos Missionnaires.

Cabanes sans foyer et disette de toutes choses ne suscitent aucune plainte : la pénurie du mobilier qui enlève jusqu’à l’idée de chercher dans un lit convenable un repos réparateur ; la pénurie du boire et du manger qui aiguillonne la faim et la soif et atténue les répulsions de l’appétit ; la pénurie du vêtement qui coupe court aux vanités séductrices de la toilette ; la malpropreté des indigènes et de leurs habitations, la vermine, les moustiques, les travaux matériels, les courses pénibles à pied, en raquettes ou en canot ; tout cela fait un singulier contraste avec le bien-être de plus en plus égoïste au milieu duquel nous languissons paresseusement, souvent ennuyés de la Vie et enclins à murmurer contre le Ciel, presque toujours assez peu satisfaits des autres et de nous-mêmes… Au sein de tant d’abjections et de répugnances, la vertu de nos apôtres sera en parfaite sécurité sans doute, les tentations n’excitent guère les passions et par suite rendent la lutte moins âpre et moins dangereuse ; et cependant, quelles mortifications volontaires n’ajoutent-ils pas pour empêcher la nature de gémir ou de se rebuter, pour la rendre plus diligente à sa tâche toujours ingrate : jeûnes fréquents et veilles prolongées, flagellations sanglantes et cilice, chaînettes garnies de pointes aiguës sur la chair vive, dissipent l’humeur chagrine ou l’instinct défaitiste, et stimulent l’ardeur et le courage, tandis qu’une prière incessante garde inaltérable la confiance en Dieu.

La mortification, la Croix !… Jean de Brébeuf en vit, il en rêve ; Gabriel Lalemant l’a désirée avec une telle ardeur qu’il en devient en peu de temps une victime de choix ; Isaac Jogues se rappelle sans cesse qu’elle a protégé son berceau. Il la chérit comme une mère, il raffole de ses caresses, il gémit d’en être privé ; Noël Chabanel, malgré les frémissements et les révoltes de la nature, lui voue sa volonté et sa vie ; Charles Garnier, ce beau jeune homme, cet amant de la chasteté, lui sourit inlassablement, il l’embrasse avec cette cordialité qui le caractérise ; Antoine Daniel, René Goupil, Jean de la Lande, dans la vie de tous les jours, au sein de la captivité, jusqu’au dernier soupir, se montrent comme leurs frères ses loyaux et vaillants serviteurs, ses fils reconnaissants… La mortification, la Croix !… jadis si aimée, si ardemment recherchée ; aujourd’hui si méprisée, si avidement délaissée !…

Ceux que la grâce a sanctifiés, que l’Église a canonisés, que la gloire a immortalisés, ce ne sont pas des héros de la fortune, de la puissance, de la jouissance ; ce sont des témoins du Christ, des Martyrs de sa Croix… Le salut est dans la Croix, la vie est dans la Croix : c’est dans la mort que germe la vie…

Rendons à la Croix l’estime et l’affection qu’elle mérite : gardons-lui la place d’honneur dans nos foyers ; gardons-lui la première place dans notre cœur !… Gage de notre rançon, elle est la source de toutes grâces, elle est le témoignage par excellence de l’amour…

Que nos saints Martyrs nous apprennent à porter notre croix avec courage et confiance, qu’ils nous obtiennent d’accepter l’épreuve, la souffrance, le sacrifice comme moyen d’expiation, de sanctification et de salut !

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

CINQUIÈME JOUR

La pratique de l’obéissance

L’âme obéissante est sûre du triomphe définitif… De quelle paix peut jouir celui qui n’obéit pas ?… « Infiniment sage et tout-puissant, Dieu, dit S. Basile, gouverne nos affaires sans comparaison mieux et plus à notre profit que nous ne pourrions même le désirer. » Pourquoi alors hésiter à faire la volonté de Dieu et à Le suivre où il nous mène ?…

Obéir à la voix de la grâce plutôt qu’à la voix de la nature : nouvelle leçon que nous enseigne le disciple du Christ, l’homme de la prière, l’amant de la Croix, le missionnaire-apôtre, tel qu’il apparaît en chacun de nos Martyrs ; nouvel exemple dont l’imitation salutaire est facile à qui garde dans sa vie une foi consciente et agissante…

L’état de trouble où nous vivons, la crise d’autorité dont on gémit, si l’on remonte à sa source ultime, commence à la première révolte de l’homme contre Dieu : la désobéissance est à l’origine de tout désordre, car si l’orgueil en est la première cause, l’insubordination en marque la première manifestation… Quand on refuse d’obéir à Dieu en méconnaissant son souverain domaine, en vertu de quelle autorité tel homme, tel gouvernement, telle Ligue, oserait se flatter de pouvoir imposer une obligation, un frein, qui, pour fonctionner au-dehors, exige au préalable d’avoir été accepté intérieurement par le libre arbitre d’un être sensé, sainement éclairé ?…

Portons nos regards sur nos Martyrs : tous sont des disciples dociles d’un Maître qui a enseigné l’obéissance par l’exemple et la parole, s’étant fait obéissant jusqu’à la mort de la croix ; tous en effet sont fidèles à répondre à l’appel de Dieu, les invitant à tout quitter pour se vouer entièrement à son service ; même ponctualité à obéir au moment de l’exil, même constance à accepter les sacrifices d’une vie qui révolte tous les sens, même allégresse à se soumettre à toutes les étreintes providentielles contre la croix.

Tous, comme Jean de Brébeuf, sont résolus à « ne chercher jamais d’autre conduite que celle de l’obéissance » ; tous sont prêts, avec Garnier, à « tout quitter pour mourir dans l’obéissance, là où Dieu les veut » ; chacun peut redire après Jogues : « Je veux tout ce que veut Notre-Seigneur, et je le veux au péril de mille vies. »

Docile comme un enfant, avec la même simplicité et la même cordialité, Jean de Brébeuf prétend « n’être propre qu’à obéir : j’ai autant de plaisir à obéir qu’un enfant, qui n’a pas la force de marcher, en trouve à se laisser porter dans les bras de sa mère ».

La vie de Charles Garnier fut de même toute d’obéissance. Monsieur Garnier assure que son fils ne lui a jamais désobéi, pas même une fois. Devenu missionnaire, Charles Garnier n’a aucune attache à son travail, ni aux personnes, ni aux endroits, ni aux emplois. Sitôt une occupation imposée par l’obéissance, à l’instant il s’y porte avec courage, avec constance, et comme un homme qui n’a plus d’autre pensée au monde sinon de trouver Dieu là où on voulait qu’alors il le cherchât : que ce fût pour labourer la terre, pour servir d’homme de voiture et traîner quelque charge, pour soigner les malades, pour s’occuper de la cuisine… « On ne fera rien, disait-il, pour le salut des âmes, si Dieu ne se met de la partie : quand c’est Lui qui nous y applique par la conduite de l’obéissance, il est obligé de nous assister, et avec Lui nous y ferons ce qu’il attend de nous… »

Gabriel Lalemant, trahi par sa nature débile, attend dans l’obéissance et la prière l’heure où les missions lui ouvriront leur porte ; le moment venu, il s’applique lui aussi à remplir les desseins crucifiants de son Maître ; après son effroyable supplice, Marie de l’Incarnation écrira de lui : « Dieu, par un miracle de la grâce, a voulu faire voir en sa personne ce que peut un instrument docile, pour chétif qu’il soit, quand il le choisit pour son service et sa gloire… »

Maître en obéissance que cet Antoine Daniel, dont le petit troupeau est cité à l’ordre du jour pour sa remarquable docilité…

Héros d’obéissance que ce Noël Chabanel, qui reste fidèlement soumis aux ordres de ses supérieurs et s’engage par vœu à tenir jusqu’au bout à son poste malgré son incapacité à parler la langue indienne.

Même constance à obéir chez ce René Goupil, longtemps jugé trop faible au gré des hommes pour porter le joug de la vie religieuse ; chez ce Jean de la Lande, qui suit ses maîtres sans autre lien que le souci de faire la volonté divine : chez l’un et l’autre, la même récompense couronne la même héroïque fidélité.

Que dire de l’obéissance à Dieu et aux hommes de celui qui apparaît le plus résolu à mener la vie de servitude ?… Libre ou esclave, Isaac Jogues est prêt, au premier signal, à marcher au danger, à la torture, à la mort. Il connaît bien toutes les horreurs de la souffrance, lui dont les pieds, les mains, tout le corps ne sont que cicatrices. « Croiriez-vous bien, écrit-il à son supérieur au moment où il recevait l’ordre de repartir pour le pays des Iroquois, qu’à l’ouverture de votre lettre mon cœur a été saisi de crainte : la pauvre nature qui se souvient du passé a tremblé ; mais je veux tout ce que veut Notre-Seigneur… » Son obéissance est glorieusement récompensée.

Tous nos Martyrs ont obéi, comme leur Maître, jusqu’à la mort.

« Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », demandons-nous sans cesse à Dieu ; à nous de nous appliquer tous les jours à connaître, à aimer, à accomplir la volonté de Dieu, par notre docilité à la loi de Dieu, aux préceptes de l’Évangile, aux conseils du Christ, aux directives de son Vicaire, aux instructions de ses Ministres…

Sachons nous rappeler l’obéissance généreuse, joyeuse, héroïque de nos saints Martyrs : nous serons alors moins hésitants à chercher nous aussi dans l’accomplissement entier des vouloirs divins notre repos, notre bonheur, notre salut…

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

SIXIÈME JOUR

L’espoir en Dieu

L’espérance ne trompe pas (Rom., V, 5)…

Quelles sont ici-bas les âmes heureuses, sinon celles qui sont avec Dieu : parce que Dieu est la lumière qui les éclaire, le trésor qui les enrichit, le bien qui les contente ; Dieu est tout en tous.

Nous voulons tous être heureux. « Il n’y a rien, observe Bossuet, ni de plus intime, ni de plus fort, ni de plus naturel que ce désir. » Notre erreur n’est pas de souhaiter la félicité, mais de la rechercher où elle n’est pas : nous la cherchons sur la terre, et ce n’est pas là qu’elle est établie.

Disciples dociles de nos saints Martyrs, apprenons d’eux et retenons cette autre leçon que «l’espérance qui se fonde en Dieu ne trompe pas ». Observons-les dans la pratique du renoncement, dans la prière, sous la croix harassante portée jour et nuit avec une entière obéissance, partout l’unique soutien de leur apostolat est l’espoir en Dieu : l’espérance qui s’enracine dans la foi et fructifie dans la charité, voilà le condiment accoutumé qui leur rend suaves et délectables toutes les vertus, même les plus austères, dont l’exercice les élève si souvent à un héroïsme qui nous apparaît plus admirable qu’imitable.

Que nous serions sages, si nous savions, nous aussi, manier ce merveilleux levier de l’espoir en Dieu ; quels exploits n’accomplirions-nous pas, quel consolant avenir nous nous édifierions… Le pouvoir et tous ses rêves, l’or et toutes ses ambitions, le plaisir et toutes ses jouissances, que tout cela est peu de choses pour des cœurs plus grands que le monde, faits pour Dieu !…

Nos Martyrs n’ont mis leur espoir qu’en Dieu : ils jouissent dans la gloire, ayant remporté la victoire, la victoire du sacrifice « qui a toujours été depuis le Calvaire le triomphe inaperçu des rédempteurs ».

C’est dans la mort que germe la Vie, disait Notre-Seigneur à ses apôtres ; le grain de froment, jeté en terre pour y mourir et y fructifier, symbolise l’apostolat fécond ; de même, c’est du haut de la Croix que le Sauveur attire tout à lui ; et, à travers les siècles, le sang des martyrs a toujours été une semence de chrétiens.

L’unique souci de nos missionnaires, pendant leur vie, consiste à s’entourer de patience, à mourir à eux-mêmes pour faire germer la vie autour d’eux, à se reposer de tout en Dieu.

Rien ne les rebute ni ne les effraie : aridité dans la prière, solitude, travaux, privations, fatigues, menaces de mort, c’est le lot que tous chérissent ; ce qu’ils attendent, c’est de souffrir pour Dieu ; ce qu’ils espèrent, c’est de mourir pour sauver des âmes… « Notre espérance est en Dieu, s’écrie Jean de Brébeuf, et en Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a répandu son sang pour le salut des Hurons aussi bien que pour le reste du monde ; c’est sur cet appui et non sur nos industries que nous fondons l’espoir de voir un jour ici une chrétienté florissante. » Quand le Père de Brébeuf, choisi par Dieu comme premier apôtre des Hurons, pénètre dans leur pays, il n’y trouve pas un seul sauvage qui invoque le nom de Dieu ; il aura la consolation de voir, avant sa mort, sept mille baptisés, et la Croix de Jésus-Christ arborée avec gloire.

A son supérieur qui l’engage à ménager ses forces, Charles Garnier répond quelque temps avant son martyre : « Il est vrai que je souffre du côté de la faim, mais pas jusqu’à la mort… Ayant mis tout mon espoir en Dieu, ce que je redouterais davantage, ce serait qu’en abandonnant mon troupeau en ces temps de misère et dans ces frayeurs de la guerre, alors qu’il a plus besoin de moi que jamais, je ne manquasse aux occasions que Dieu me donne de me perdre pour lui… » A l’heure du trépas, l’apôtre intrépide, mortellement blessé, cherche encore à se traîner dans l’espoir d’aider un mourant à passer à une vie meilleure…

Pour Noël Chabanel qui gémit de son impuissance parmi ces âmes qu’il ne peut édifier que par la piété et le parfum de son holocauste, l’espérance est la seule douceur au sein de ses amertumes incessantes. C’est l’unique salaire convoité par Antoine Daniel, par René Goupil, par le donné Jean de la Lande.

Gabriel Lalemant, si chétif de santé, fortifié par l’espoir en Dieu, devient cet instrument providentiel qui résiste aux secousses des plus durs travaux, garde jusqu’au bout une fermeté que le fer et le feu ne parviennent pas à courber, une solidité que dix-sept heures de férocité sanguinaire ne réussiront pas à fléchir : toutes ces épreuves n’ont fait qu’affermir son inlassable espérance…

Quel aliment soutient l’endurance surhumaine, l’indomptable énergie d’Isaac Jogues, sinon l’espoir de la moisson, l’espoir de la récompense, l’espoir en Dieu. Après sept jours et sept nuits d’atrocités où il a enduré les bastonnades, les piqûres d’alênes, l’écartèlement, Jogues est remis à la torture : on lui scie un doigt à la racine, on le suspend par les bras à deux poteaux distants : « Pour me convaincre, écrira-t-il plus tard, que si j’avais pu souffrir jusque là avec un peu de courage et de patience, je le devais non à ma propre vertu mais à Celui qui donne la force aux faibles, le Seigneur m’abandonna : l’excès de mes douleurs me fit conjurer mes bourreaux de relâcher un peu mes liens… » Ce champion de la souffrance, devant les possibilités d’une évasion, se dit résolu, avec la grâce de Dieu, à vivre et à mourir sur cette croix où le Seigneur l’a attaché. « Autrement, écrit-il, qui pourrait consoler et absoudre les captifs français ? Qui rappellera aux Hurons chrétiens leurs devoirs ? Qui instruira les nouveaux prisonniers, fortifiera dans les tourments et baptisera les condamnés ? Qui pourvoira au salut des enfants moribonds et à l’instruction des autres ?… » L’espoir de la moisson tient l’ouvrier à sa tâche… C’est uniquement parce qu’il ne peut plus rendre service aux chrétiens captifs et que sa fuite ne nuira en rien à la conversion des autres, que Jogues accepte d’être libéré.

Le secret de la vocation, de l’apostolat, du martyre des héros que nous honorons, est leur indéfectible espoir en Dieu.

L’espérance qui se fonde sur ce qui est terrestre est éphémère comme tout ce qui passe ; l’espoir qui se fonde en Dieu ne trompe pas : réconfortante perspective du paradis dans le ciel, où la jouissance couronne la patience, où la croix de l’épreuve s’évanouit dans les splendeurs d’une gloire sans déclin.

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

SEPTIÈME JOUR

L’héroïsme dans la charité

La charité est bienfaisante, dit saint Paul… Reconnaissons qu’au Canada nous sommes d’insignes bénéficiaires de la charité divine.

D’où vient en effet cette vie de bien-être et de confort dont nous jouissons ? D’où ont surgi toutes ces richesses qui nous environnent, toutes ces merveilles qui déploient leurs broderies d’acier au-dessus de nos rivières, toutes ces babels altières qui dressent dans le ciel leurs structures superbes ? D’où ces véhicules automatiques qui transportent comme l’éclair sur l’onde, sur terre, dans les airs ? D’où ces ondes mystérieuses qui transmettent à l’instant parole-chant-musique-images même, d’un bout à l’autre du pays, d’une extrémité à l’autre de l’univers  ?…

Progrès de la civilisation, trésors des mines, richesses du sol, forces de la nature…

Mais, enfin, qui donc a caché sous terre tous ces biens, ignorés et inconnus il y a quelques années, puisque la riche Amérique, à peine à son quatrième centenaire, toute jeune à côté du vieux Monde qui a dépassé depuis longtemps la majorité séculaire, n’offrait hier encore qu’un sol aride, qu’une forêt déserte, que des eaux silencieuses, où folâtraient ici et là une poignée d’êtres humains quasi aussi incultes que les fauves de ces régions déshéritées ?…

Appelons-en aux économistes, aux hommes de science ; ils donnent des réponses qui provoquent de nouvelles questions…

L’homme de foi dit : C’est Dieu ! C’est sa Providence paternelle qui donne la blancheur au lys, à la rose son parfum, au petit oiseau sa nourriture ; c’est cette Providence qui a pourvu au bien-être de l’homme, mais à la condition qu’il n’y fixe pas son cœur : « Cherche d’abord le royaume de Dieu et sa justice ; tout le reste te sera donné par surcroît… »

Dieu s’est donné lui-même, dans le détachement complet, sans même une pierre où reposer sa tête ; la Croix, seul trophée auquel il reste attaché, Il se l’est appropriée par son sang qu’Il a tout donné avec sa vie. Il a laissé mieux qu’un souvenir de son passage parmi nous : merveille de bonté, à la vie humaine donnée goutte à goutte de la Crèche à la Croix, il ajoute le don de la vie divine dans l’Hostie où il s’offre tout entier à qui veut le recevoir pour compagnon perpétuel, pour aliment quotidien…

Voilà le langage de l’amour qui donne et qui se donne ; voilà pour nous aider à comprendre où s’inspire le dévouement du missionnaire-apôtre.

Nos Martyrs ont donné et se sont donnés : leur héroïsme est de bon aloi, puisque calqué sur le Modèle affiché au Calvaire. Comme leur Maître, ils se sont détachés du paradis de leur origine, où ils avaient connu les charmes d’un berceau choyé et d’une patrie justement chérie ; dépouillés de toutes les joies terrestres, ils embrassent avec allégresse la nudité, la faim, la fatigue, la solitude… Il est si important de faire bon visage à la souffrance puisque, selon l’observation de Jean de Brébeuf, « c’est avoir gagné beaucoup que d’avoir conquis, par cette bonne humeur et cet entrain, le cœur et l’affection de l’enfant des bois »… Ajoutez à cela l’agrément… de cette cabane enfumée, grouillante de gens et de chiens, enfer de chaud et de froid, de sans-gêne éhonté, de puanteur et de saleté, de cuisine nauséabonde, de vermine envahissante, enfer qui faisait dire à un missionnaire des plus braves qu’ « on aimerait mieux recevoir un coup de hache sur la tête que de mener des années la vie qu’il fallait y vivre tous les jours ».

Voyez ce géant que l’on trouve encombrant dans un canot : c’est avec l’engagement de prendre dans les portages la charge d’un bœuf que le Fondateur de la Huronie réussira à se faire agréer bien à contre-cœur ; il sourira à toutes les attitudes crucifiantes ; en compensation de son poids, il consent à jeter à l’eau ses provisions de route pour amadouer ses ombrageux compagnons : l’amour des âmes lui fait tout accepter allégrement.

Et qui est ce portefaix, ployant sous le poids d’un sauvage infirme ?… C’est Charles Garnier, ce Parisien imberbe, qui a l’héroïque originalité de ne trouver rien de rebutant chez les indigènes. Ce fils de noble famille, véritable frère de François Xavier et de Pierre Claver, excelle à soigner les êtres les plus dégradés, à panser des ulcères qui répandent une telle infection que même les parents des malades ne les peuvent souffrir ; lui seul y met la main tous les jours, avec un visage rayonnant la charité.

Prisonnier, Isaac Jogues, pendant « sa montée du calvaire » des Trois-Rivières au pays des Iroquois, trouve dans sa charité des forces pour porter sur ses épaules tuméfiées le butin de ses bourreaux ; il soigne de ses mains mutilées, avec des tendresses de mère, un de ses plus cruels tortureurs, dégoûtant d’infection et de lèpres. La servitude lui reste chère aussi longtemps qu’elle lui semble utile au salut des âmes.

Le signe suprême de la charité, a dit le Sauveur, la preuve incontestable de l’amour, c’est de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Nos héros ont aimé les âmes, comme leur Maître, jusqu’à l’effusion du sang : que l’existence leur soit ravie à l’improviste, comme à Noël Chabanel, à Charles Garnier, à Antoine Daniel ; ou qu’elle leur soit enlevée au sein d’une captivité douloureuse comme dans le cas de René Goupil et de Jean de la Lande ; ou bien qu’elle leur soit arrachée après un prélude d’atrocités inimaginables, le tout exécuté avec cette lenteur calculée qui prolongera la cruelle jouissance pendant trois heures pour Jean de Brébeuf, pendant dix-sept heures pour Gabriel Lalemant, pendant treize mois pour Isaac Jogues ; tous resteront heureux de donner leur vie comme leur Maître pour le salut des âmes.

Gardons-nous de plaindre nos missionnaires en terre infidèle, de nous apitoyer sur leur exil et leurs sacrifices : n’écoutons pas la voix de la nature qui parle en nous, mais la voix de la grâce ; admirons l’amour qui donne et se donne, et non l’amour qui se recherche ; aidons nos missionnaires de nos aumônes et de nos sacrifices, aidons-les par nos prières de tous les jours… Que nos saints Martyrs nous obtiennent d’être toujours fidèles à renoncer à l’amour qui se recherche (l’amour qui damne), d’être toujours attentifs à cultiver l’amour qui donne (l’amour qui sauve !).

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

HUITIÈME JOUR

Modèles à imiter

Nos Missionnaires ont fourni une carrière extrêmement féconde en leçons réconfortantes et salutaires : renoncement, piété, sacrifice, obéissance, confiance, charité, autant de manifestations par lesquelles nous avons cherché à scruter l’éminente sainteté qui les a préparés au martyre.

Nous aurions pu nous arrêter à loisir à considérer en chacun d’eux la parfaite hiérarchie de leurs sentiments religieux. Toujours attentifs à vivre sous le regard de Dieu, leur piété puise toute sa vitalité à la source eucharistique : sainte messe, sainte communion, visites au Tabernacle.

Leur foi et leur attachement au Christ inspire et alimente une tendre affection pour la Vierge dont chacun est le fils très aimant, très aimé.

Chef et père nourricier de la sainte Famille, saint Joseph garde aux yeux des missionnaires le prestige, l’influence et le crédit qu’il s’est acquis par son rôle providentiel auprès de Jésus et de Marie. Aucun poste qui ne soit sous sa tutelle ou son vocable ; c’est à saint Joseph que l’on confie le soin des situations désespérées. A l’occasion d’un départ pour le pays des Hurons, départ sans cesse entravé par mille difficultés et finalement organisé comme par miracle, Jean de Brébeuf écrira : « C’est un coup du ciel que nous soyons passés outre, et un effet du pouvoir du grand saint Joseph auquel Dieu m’inspira, dans le désespoir de toutes choses, de promettre vingt sacrifices en son honneur. » C’est à saint Joseph que l’on attribue, au lendemain du supplice des Pères de Brébeuf et Lalemant, l’épouvante qui, le 19 mars 1649, envahit le camp des Iroquois, répand la terreur au cœur de ces fiers guerriers et contraint leurs capitaines à battre en retraite, à s’enfuir.

Quel sujet d’édification n’aurions-nous pas trouvé à admirer chez ces hommes de Dieu l’humilité toujours allègre, la courageuse indigence, la prudence sans timidité, la crânerie sans jactance ni témérité, l’inlassable et inflexible énergie de volonté ; tout cela mis en lumière, non à la lueur du bûcher, mais dans l’éclat des menues actions de chaque jour.

La neuvaine à nos saints Martyrs n’a fait qu’ouvrir une mine précieuse de souvenirs d’une richesse insoupçonnée, invitant les âmes de bonne volonté à poursuivre une exploration inépuisable et merveilleusement avantageuse… On a eu raison d’écrire que l’Histoire de nos Martyrs offre « un récit que toute famille devrait posséder comme un trésor national, méditer comme une imitation, commenter à la jeunesse comme le catéchisme de la vaillance chrétienne et de l’endurance apostolique ».

Que de détails à rappeler, que de difficultés à souligner, que de souffrances à énumérer : souffrances du voyage, souffrances du séjour, souffrances des coups, des écorchures, du sang versé ; pour que, par une méditation attentive, communiant à la mémoire de nos héros, l’évocation fût assez vive pour laisser dans l’imagination un tableau générateur de salutaires résolutions… Ainsi la vue du cadavre du P. de Brébeuf ne fut pas étrangère à la vocation de ce Frère qui, devenu vieux, écrira cette page émue :

« Le Père de Brébeuf avait les jambes et les bras tout décharnés jusqu’aux os. J’ai vu et touché quantité de grosses ampoules, en plusieurs endroits de son corps, provenant de l’eau bouillante que ces barbares lui avaient versée en dérision du saint baptême. J’ai vu et touché la plaie de la ceinture d’écorce qui lui grilla tout son corps. J’ai vu et touché les brûlures du collier de haches qu’on lui mit sur les épaules et sur l’estomac. J’ai vu et touché ses deux lèvres qu’on lui avait coupées parce qu’il parlait sans cesse du ciel pendant qu’on le faisait souffrir. J’ai vu et touché le dessus de sa tête écorchée, ainsi que l’ouverture qu’on lui fit pour lui arracher le cœur, et toutes les plaies de son corps, comme les sauvages nous l’avaient dit et assuré… »

« Vous êtes les concitoyens, les frères des Saints, commenta S. S. Pie XI aux pèlerins canadiens la veille de la canonisation ; vous êtes vraiment frères des saints Martyrs, puisque descendants de la même race et héritiers des mêmes traditions ; sachez tirer profit de leurs exemples. »

Dans la poursuite de l’idéal, nos Martyrs ont atteint des sommets qui déconcertent et découragent notre pusillanimité… Pourtant, sera-ce en nous contentant de regarder la Croix que nous serons sauvés  ?… Nous le savons bien : la foi sans les œuvres est une foi vaine ; celle-là est salutaire qui fructifie dans la charité… Il faut travailler pour avoir droit au salaire ; chacun est à son compte dans l’ordre du salut ; Dieu nous a créés sans nous, Il ne nous sauve pas sans nous : on ne va pas au ciel porté sur les épaules d’autrui.

« Imitez les saints Martyrs, ajouta le Pape, et n’oubliez pas qu’il y a martyre et martyre : à côté du martyre dans le sang et la mort, il y a le martyre dans la vie, dans la patience, dans l’abnégation, le martyre par l’accomplissement du devoir quotidien… Le martyre, insiste le Saint-Père, les nouveaux Saints l’ont acheté par les labeurs de l’apostolat ; à nous de les imiter par l’apostolat du bon exemple, par l’apostolat de la parole et de la plume, par l’apostolat de la prière, par l’apostolat. d’une vie intégralement chrétienne… »

Un renouveau d’esprit chrétien, voilà ce que doit produire en nous cette neuvaine en l’honneur des saints Martyrs canadiens : demandons-leur que la foi imprègne notre vie individuelle, familiale, sociale, nationale.

Proposés par l’Eglise comme Patrons secondaires du Canada, ils ont des droits particuliers à nos hommages et à notre culte : gardons à nos saints Martyrs canadiens l’estime, l’affection, la confiance, la dévotion qu’ils méritent ; nous en retirerons un regain de courage et de consolation en même temps qu’un accroissement de grâces et de mérites. Leur exemple nous aidera à mieux connaître-aimer-servir Dieu, comme eux, dans la prière, le travail, la souffrance ; étant ainsi leurs imitateurs dans le temps, nous pourrons avoir confiance de partager leur récompense dans l’éternité.

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

NEUVIÈME JOUR

La gloire sur terre : sur les Autels

Dieu fait resplendir sa gloire dans ses saints : là-haut à l’heure de la mort, ici-bas au jour de la canonisation…

L’année 1930 restera particulièrement remarquable dans les annales canadiennes, puisque, par une délicatesse de la Providence, le 29 juin, fête des saints apôtres Pierre et Paul, la grande fête des Romains, fut choisi pour l’apothéose de nos premiers saints. C’est ainsi que S. S. Pie XI avait résolu de clore son jubilé sacerdotal par d’exceptionnelles solennités.

Le sentiment religieux se ravive avec intensité lorsque apparaît dans tout son éclat le flambeau d’héroïsme dont les saints ont éclairé et réchauffé l’âme de leurs semblables. C’est ce qu’il nous fut donné d’éprouver à Rome en la première fête de nos premiers saints.

Le soleil monte à peine dans un ciel sans nuage que la Ville éternelle s’anime comme une ruche en pleine activité : par les avenues qui acheminent vers Saint-Pierre c’est un défilé de plus en plus compact ; quand sept heures sonnent au clocher tant de fois séculaire, la foule a déjà envahi la basilique vaticane…

L’immense cathédrale, où peuvent trouver place plus de cinquante mille personnes, a reçu pour la circonstance une décoration toute d’éclat et de splendeur. Au fond de l’abside, sous les envolées de bronze où se cache la Chaire de saint Pierre, le trône papal qui se dresse tout blanc sous un dais rouge et or. A gauche et à droite, les banquettes des dignitaires insignes. Dans le haut, des guirlandes de lustres de cristal forment d’étincelants buissons, tandis que d’autres cordons de lumières dessinent les arcades géantes, soulignent la vaste coupole, courent tout le long des piliers de la nef centrale. Tableaux des nouveaux saints, draperies, peintures, sculptures, le décor est en parfaite harmonie avec la fête. Suivant très exactement les exigences du cérémonial, la procession déroule aussitôt son long et imposant cortège… Porté sur la Sedia, le Souverain Pontife apparaît avec sa Garde d’Honneur.

L’entrée comme la sortie du Pape donne lieu à une ovation singulièrement impressionnante : du seuil de la basilique à la Confession de saint Pierre, c’est un remous d’acclamations bruyantes, dominées ici et là par les notes triomphales que les trompettes d’argent lancent du balcon central. De la main gauche le Pape tient un cierge ; de sa droite il jette, sans se lasser, sur ce peuple qu’il aime en père, ses plus tendres bénédictions… Un frisson d’exultation envahit les âmes tandis que l’émotion voile plus d’un regard.

Le Souverain Pontife descend de la Sedia, s’agenouille un instant sur le prie-Dieu, puis va s’asseoir sur le trône, au fond de l’immense nef tout éblouissante sous sa brillante illumination. On a écrit justement : « Ceux-là seuls qui ont vu ces fêtes magnifiques dans la vaste Basilique de Saint-Pierre, parée comme l’épouse afin de célébrer les noces mystiques des serviteurs de l’Agneau, peuvent se faire une idée de ces grandes solennités. »

Vient alors la cérémonie de L’OBÉDIENCE ; puis LA REQUÊTE adressée à trois reprises au Pape par l’Avocat consistorial ; puis LES PRIÈRES (Litanies, Miserere, Veni Creator) pour implorer les lumières divines ; enfin LA PROCLAMATION ex cathedra

L’assemblée debout ; le Pape, mitre en tête, assis sur son trône en qualité de Docteur infaillible et de Chef de l’Eglise universelle, prononce la sentence solennelle qui se termine par ces mots : « Nous décrétons et définissons Saints et Nous inscrivons au Catalogue des Saints les bienheureux Jean de Brébeuf, Isaac Jogues, Gabriel Lalemant, Noël Chabanel, Charles Garnier, Antoine Daniel, René Goupil, Jean de la Lande, de la Compagnie de Jésus, statuant que leur mémoire devra être célébrée tous les ans avec une pieuse dévotion dans l’Église universelle. »

Le Pape se lève, dépose la mitre et entonne le Te Deum, qui est continué par les chantres. Les cloches de la basilique vaticane donnent le signal et le joyeux carillon de toutes les églises de Rome annonce la bonne nouvelle de la canonisation. Le Saint-Père chante une oraison pour invoquer les nouveaux saints, puis il bénit par la formule accoutumée… Ainsi se termine la partie essentielle de la canonisation.

A l’Offertoire de la Messe, chantée aussitôt par le Souverain Pontife, a lieu une cérémonie spéciale : l’oblation des cierges, du pain, de l’eau, du vin, de deux tourterelles, de deux colombes et de plusieurs petits oiseaux. Ces oblations, qui ont un caractère symbolique, sont portées au pied du Trône par les Postulateurs de la Cause, par quelques religieux de l’Ordre auquel appartiennent les Saints, et par les gentilshommes des Cardinaux.

La messe se poursuit avec certaines particularités qu’il serait trop long d’énumérer ici. La cérémonie, commencée à 7 h. 45, s’achève un peu après 1 heure… Malgré la fatigue, la foule ne consent à s’éloigner qu’après avoir assisté à la sortie du Pape, qu’elle entoure jusqu’à la fin de sa vénération, de sa reconnaissance, de son affection enthousiaste et émue.

Que l’on se sent fier d’appartenir à une religion qui nous procure ces avant-goûts du paradis !… Que nous avons raison d’être fiers de nos Martyrs !… Que nous avons raison d’avoir confiance en leur puissante intercession !…

Rendons grâces à Dieu d’avoir donné au Canada ces hérauts de l’Evangile, ces modèles de sainteté, ces Martyrs du Christ, ces Protecteurs insignes.

Demandons aux saints Martyrs canadiens d’obtenir du ciel que nous soyons de plus en plus soucieux de suivre Jésus en imitant un peu plus, un peu mieux, leur renoncement, leur dévouement et leur fidélité ; demandons-leur d’obtenir du ciel que nous sachions garder et accroître la foi dans notre esprit, l’espérance dans notre cœur, la charité dans notre vie, afin que, leurs frères par l’origine du sang, héritiers de leurs traditions, imitateurs de leurs vertus, nous restions pour toujours leurs frères dans la paix, dans la joie, dans la gloire du Paradis.

PRIÈRE. — Huit fois : Pater, Ave, Gloria, Saints Martyrs canadiens, priez pour nous ; en l’honneur des huit Martyrs.

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LITANIES DES SAINTS MARTYRS CANADIENS

Seigneur, ayez pitié de nous.

Jésus-Christ, ayez pitié de nous.

Seigneur, ayez pitié de nous.

Jésus-Christ, exaucez-nous.

Père céleste, qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.

Fils rédempteur du monde, qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.

Esprit-Saint, qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.

Trinité sainte, qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de nous.

Sainte Marie, priez pour nous.

Saint Jean de Brébeuf, chef valeureux de héros,

Saint Gabriel Lalemant, âme d’acier dans un corps fragile,

Saint Antoine Daniel, comme Jésus prêtre et hostie,

Saint Charles Garnier, lys empourpré offert à l’Immaculée,

Saint Noël Chabanel, souffrant dans le silence et succombant dans l’oubli,

Saint Isaac Jogues, deux fois martyr de Jésus-Christ,

Saint René Goupil, chaste et doux martyr du signe de la croix,

Vous tous, glorieux martyrs de Jésus-Christ,

Apôtres au cœur de feu,

Missionnaires infatigables,

Exilés volontaires en solitude païenne,

Pionniers de la foi dans le Nouveau Monde,

Ennemis du vice et de la superstition,

Modèles de prière et d’action,

Épris de détachement et de pureté,

Vrais fils d’obéissance,

Intrépides dans les dangers,

Imitateurs passionnés de Jésus-Christ,

Torturés par la faim et la soif pour Jésus-Christ,

Flagellés pour Jésus-Christ,

Joyeux de mourir pour Jésus-Christ,

Fils chéris de la Reine des martyrs,

Fidèles clients de saint Joseph,

Dignes enfants de saint Ignace,

Puissants protecteurs du Canada,

Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, pardonnez-nous Seigneur.

Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, exaucez-nous, Seigneur.

Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous.

V/. Les saints tressailleront dans la gloire.

R/. Ils se réjouiront dans leurs demeures.

PRIONS. — Ô Dieu, qui, par la prédication et par le sang de vos saints martyrs, Jean, Isaac et leurs Compagnons, avez consacré les prémices de la foi dans les vastes régions de l’Amérique septentrionale, accordez, dans votre bonté, que, par leur intercession, la florissante moisson des chrétiens grandisse partout de jour en jour. Par Jésus-Christ, Notre Seigneur. Ainsi soit-il.